Habiter dans les arbres
Au début des années 1980, Francis Hallé, professeur de botanique tropicale, Dany Cleyet-Marrel, aéronaute, et Gilles Ebersolt, architecte, mettent au point un outil d’observation de la biodiversité de la canopée, à savoir de la voûte de la forêt équatoriale : le Radeau des cimes . Il s’agit d’une structure gonflable couplée à une montgolfière pour le transport des scientifiques et du matériel. Tel un bateau voguant sur les flots, le radeau, de grande surface mais fort léger, prend appui et se stabilise sur plusieurs arbres à quelque trente-cinq mètres du sol. Après l' »arbrissage » (il faudra que nos dicos s’habituent à ce mot), trois à quatre personnes peuvent prendre place à bord pour commencer leurs travaux d’observation.
Remontons beaucoup plus avant dans le temps. À l’époque, très lointaine, où l’on n’avait pas encore inventé les safaris en 4×4 pour photographier tout à son aise la faune des parcs naturels, les habitants des forêts se réfugiaient et vivaient dans les arbres pour se protéger des prédateurs. Nous tenons également de source sûre que l’empereur romain Caligula s’était fait construire une cabane dans un arbre (pour y faire quoi? le mystère demeure) et que la reine Victoria grimpait elle aussi régulièrement dans sa cabane installée dans un tilleul vieux de 600 ans (ici, pas de mystère: c’était pour aller prendre le thé).
Plus proche de nous, le Plessis-Robinson doit sa réputation à une dizaine de restaurants-guinguettes qui, au milieu du XIXe siècle, furent construits dans des châtaigniers du Val d’Aulnay. « Au Vrai Arbre », « Le Grand Arbre », « L’Arbre des Roches » et « Au Grand Saint-Eloi » furent les plus célèbres de ces guinguettes fréquentées par le tout Paris et même certaines célébrités de l’époque, comme le tsar de Russie ou le roi d’Espagne.
Il n’en fallait pas plus pour inspirer à l’écrivain Italo Calvino (1923-1985) son Baron perché, un roman où il raconte la vie d’un aristocrate du XVIIIe siècle qui décida, sur un coup de blues, de grimper dans un arbre pour y passer tout le restant de sa vie, démontrant par là à ses contemporains le vrai sens de la liberté et de l’intelligence.
Par effet de ricochet, cette histoire édifiante, jointe à l’expérience des tree-houses en vogue aux États-Unis, inspira à Alain Laurens la création de sa « Cabane perchée », une PME implantée aujourd’hui à Bonnieux, près d’Apt, dans le Vaucluse. Comprenons bien! L’entreprise fabrique des cabanes, pas des maisons, c’est-à-dire des constructions suspendues entre quatre et quinze mètres d’altitude, ne dépassant pas 12 m² de superficie, dont la moitié occupée par une terrasse. Les mieux aménagées sont équipées d’un lavabo et d’une douche, voire d’une petite installation électrique alimentée par un capteur solaire capable de fournir un courant de 12 volts quatre heures par jour.
«Une cabane, commente Alain Laurens, est faite pour se couper de son monde, affecter de prendre de la distance avec la société des hommes, jouer à Robinson Crusoé, revenir au temps des sarbacanes et des gourdes en plastique transparent remplies de grenadine.» Coût de l’opération: de 30 000 à 60 000 euros, compte tenu du fait que chaque cabane, réalisée par d’authentiques compagnons charpentiers, est une oeuvre unique, adaptée à l’arbre qui l’accueille. Les espèces conseillées sont le chêne, l’érable sycomore, le tilleul, le marronnier ou le hêtre, mais aussi les conifères (cèdre, pin). Pour ce qui concerne le peuplier, l’aulne rouge et le noyer: s’abstenir, car ces espèces sont trop « cassantes ».